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Prix honorifique Mercure, Monsieur Raoul Granger, 2012

Chers juristes d’expression française, chers invités, chers amis, chers membres de la famille Granger, cher Raoul,

C’est avec un immense plaisir que j’ai l’honneur de vous présenter ce soir la personne qui a été sélectionné pour recevoir le prix Mercure 2012.

C’est un fait peu connu, et pour beaucoup oublié, que Raoul Granger est un des pionniers fransaskois pour la défense des droits linguistiques en matière d’éducation en français en Saskatchewan. Beaucoup plus de gens connaissent Raoul pour son travail sur scène ou comme auteur de plusieurs pièces qui ont fait l’affiche à la Troupe du Jour : Le costume, Le mariage de la Fille Gareau, Double néfaste, un conte de fées... comme il se doit … (toutes des pièces où j’ai eu le plaisir d’être acteur ou encore de jouer certains extraits); Bonneau et la Bellehumeur également où il s’est permis de jeter un regard sur l’histoire des métis. C’est toujours un défi de s’incarner dans des personnages sortis de l’imaginaire de Raoul; il a l’esprit fertile.

On ne peut donc pas faire une présentation ordinaire de la contribution de Raoul à la reconnaissance des droits à l’éducation en français en Saskatchewan; choisissons un parcours dramatique, avec des revirements inattendus et des personnages tendres, d’autres coquins, et certains malveillants.

Prologue : Le grand questionnement

Raoul s’est impliqué activement dans les revendications pour la gestion scolaire dès le début des années 80, alors que la famille Granger se préoccupait de l’accès à l’éducation française des enfants. Son implication concordait justement avec le rapatriement de la Constitution, et l’adoption de la Charte des droits et libertés adoptée en 1982; l’inclusion de l’Article 23 de la Charte constituait l’instrument parfait pour arriver à ses fins.

Une voix : On est dans la grande ville! Où c’est qu’on va envoyer nos enfants à l’école; y a pas de vrais écoles françaises qui peuvent protéger nos enfants de l’assimilation!

Acte 1 L’éveil :

Raoul s’est d’abord engagé activement à Saskatoon, en collaborant avec un groupe de parents de cette communauté à l’établissement de l’École canadienne-française. Après de multiples rencontres à la bibliothèque municipale, de difficiles négociations avec le ministère de l’Éducation, et des demandes acheminées aux commissions scolaires publiques et séparées de Saskatoon, l’ÉCF ouvrait ses portes avec une poignée d’enfants à l’École Sion sur Idylwyld; une sorte de gestion scolaire embryonnaire qui permettait aux parents de gérer l’école dans le contexte d’une association avec la Commission scolaire catholique de Saskatoon. Il a d’ailleurs été président dès le début de l’école et par la suite a continué de siéger sur le conseil d’administration pendant plusieurs mandats.

Extrait :

Jeannine : C’est pas grand-chose comme école, mais au moins c’est notre école!

Raoul : Mais une école pas de livres, c’est pas une école. Je pense qui va falloir aller faire des achats, pis vite.

Wilfrid : L’école ouvre ses portes la semaine prochaine. Ya pas quelqu’un qui a une grande valise pour aller piquer des livres queque part!

Raoul : Ben tiens! Justement je me rends à Montréal, la semaine prochaine. Si on prépare un petit budget, je pourrais aller faire une commande pis rapporter ce que je peux!

Acte 2 : La grande mobilisation

Dans une tentative de solidarité avec les autres communautés francophones de la province, Raoul s’est employé à reprendre la structure déjà dépassée de l’ACEFC (Association des commissaires des écoles franco-canadiens de la Saskatchewan) pour créer la Commission des écoles fransaskoises (CÉF) dont il devenait le premier président en janvier 1983, justement lors d’une rencontre tenue dans les locaux même de l’École canadienne-française à Saskatoon. Comme leader de ce groupe de parents convaincus, Raoul s’est mis à la tâche d’informer et de sensibiliser les parents des diverses communautés de la province, ainsi que les représentants des commissions scolaires locales, sur l’importance de l’éducation française pour la survie des communautés, sur la nécessité de transformer les écoles (connues sous le terme type A et type B) pour en faire de véritables institutions d’enseignement en français langue première, et sur l’obligation qui incombait aux parents de revendiquer auprès des instances gouvernementales la gestion de ces établissements conformément aux exigences de l’Article 23 de la Charte des droits et libertés. Au cours de cette période, la définition de l’école fransaskoise a été raffinée et un modèle de gestion a été développée; deux éléments importants pour entreprendre les démarches de revendication.

Extraits :

Gérard : Si on leur parle de l’Article 23, y vont jamais comprendre à quoi on veut en venir avec ça; c’est comme du chinois d’avocat! On va être là comme trois mousquetaires, en train de se débattre avec du jargon!

Raoul : Je pense que ça serait plus important de leur expliquer, ce que c’est qu’une école fransaskoise. Autrement ils vont penser que c’est la même chose qu’une école d’immersion. On a déjà assez de problème à se démêler avec toute cette affaire de type A et de type B. On dirait que c’est des groupes sanguins! Gustave, t’aurais pas une idée comment on pourrait définir ça?

Gustave : Ouais!.............................. Ben écoute, je vais y réfléchir puis je vous reviens là-dessus la semaine prochaine. Ça devrait pas être si compliqué que ça! Une école fransaskoise, c’est une école dont l’accès est pour les francophones, qui fonctionne en français, et qui est géré par des francophones, mais à partir des fonds publics!

Acte 3 : La chicane dans la cabane… gouvernementale

En 1984, suite à des rencontres avec le gouvernement Devine de l’époque, le ministre de l’Éducation Pat Smith a réitéré que le gouvernement remplissait pleinement ses obligations envers la Charte par le modèle des écoles d’immersion déjà en place. Dans la même veine, le ministre de la Justice Gary Lane indiquait que, si les parents étaient en désaccord avec la position de la province, il les invitait à recourir aux tribunaux.

Extrait :

Raoul : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, je ne suis pas certain que vous comprenez la situation : le gouvernement ne répond pas présentement à ses obligations en vertu de l’Article 23 de la Charte des droits et libertés. Le gouvernement doit apporter des amendements à la loi à l’Éducation…

Monsieur le ministre (les pieds sur le bureau) : Permettez, monsieur Granger. Le gouvernement répond pleinement à ses obligations avec ce qui existe déjà présentement, et nos dispositions sont déjà très généreuses. Si vous pensez que les francophones ont plus de droit que ça, monsieur Granger, vous pouvez toujours faire appel aux tribunaux!

Raoul : Avec le peu de respect qui me reste encore, Monsieur le ministre, ce sera peut-être la seule façon de vous faire comprendre!… C’est le temps d’arrêter de se faire la cour, monsieur le ministre. See you in court!

VLAN! Sortie – côté cour…

Acte 4 : Le droit … chemin : le chemin du droit

Inutile de vous dire que Raoul Granger n’était pas impressionné; mais il n’y avait rien là pour le décourager de poursuivre ses démarches.

Commence alors de 1984 à 1985 tout le travail d’élaboration de la cause qui sera déposée devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, et qui sera entendue devant le tribunal par le Juge Wimmer en octobre 1985. Il s’agissait alors d’une période difficile pour la Commission des écoles fransaskoises et pour Raoul Granger, alors que l’opinion publique et une large partie de la population fransaskoise s’objectaient à la remise en cause du statu quo, et s’inquiétaient des répercussions de ce cas de cour sur les communautés scolaires, le personnel enseignant et les élèves.

Extraits :

Une voix : Vous autres, les jeunes, vous allez tout débâtir ce qui nous a pris des années à construire. Au moins là on a des écoles françaises; c’est quand même mieux que dans le temps qu’on avait juste droit à 30 minutes de français par jour.

Raoul : Je sais que c’est pas facile à accepter. Mais, un droit, c’est un droit! Et on n’a pas le droit de se laisser marcher sur le dos, puis de continuer de se faire assimiler à petit feu! Les écoles d’immersions, c’est des foyers d’assimilation, et ça répond seulement aux besoins des anglophones. On voit bien que quand lorsqu’on s’implique dans la gestion de nos écoles, que ça fait une grosse différence… que tout se passe en français et que c’est là que nos enfants développent une vrai fierté d’être francophone!

Acte 5 : Et puis après

L’attente a été longue avant d’obtenir la décision de la cour et n’est survenue qu’en 1988. Dans cette décision historique pour la francophonie en Saskatchewan, le juge Wimmer donnait gain de cause aux parents francophones en leur accordant le droit à la gestion de leurs établissements et indiquait que le gouvernement avait la responsabilité de mettre en place les mécanismes pour ce faire.

Alors qu’il laissait la présidence de la CÉF en 1988, Raoul a continué de s’engager au sein du Comité exécutif de la CÉF, et au sein de l’Association des parents de son école à Saskatoon, pendant la période de la mise en œuvre de la gestion scolaire, en participant notamment aux travaux de conception du modèle de gestion sous le leadership de la Commission Gallant. Son savoir-faire, son expertise et sa détermination de voir la mise sur pied d’une véritable gestion des écoles par les francophones pour les francophones, ont été déterminantes dans la conception du modèle de gestion sur lequel se sont entendus l’ensemble des partenaires du milieu éducatif.

Bien qu’en position d’arrière-plan pendant les quelques années de la mise en œuvre de la gestion, Raoul a continué de s’impliquer à l’école canadienne-française comme membre du CA de l’Association des parents et comme bénévole.

Il reviendra sur la scène publique en 1994, en se faisant élire parmi la première vague des conseillers scolaires qui allaient prendre en charge la gestion des écoles fransaskoises dans les huit communautés scolaires qui avaient déposés une demande de création d’un conseil scolaire. Il représentera le Conseil scolaire de l’École canadienne-française de 1995 à 1998, et en sera le président de mai 1996 à 1997. Il siégea également au comité de gestion nord de 1996 à 1997, et occupa le poste de vice-président du Conseil général des écoles fransaskoises de juin 1996 à novembre 1996.

Extrait :

Raoul devant son écritoire, alors qu’il rédige la déclaration des parents fransaskois en 1989 :

Moi parents fransaskois, père et mère de filles et de fils de tradition française en Saskatchewan,

Je reconnais mon rôle dans la perpétuation de notre collectivité dans le monde, et dans l'accroissement de ses valeurs et de ses coutumes. Ce rôle, je ne suis pas seul à le jouer. J'en vois ici plusieurs autres rassemblés comme moi pour ensemencer l'avenir.

J'accepte totalement et librement, joyeusement même, ma responsabilité de nourrir, soigner, aimer et former mes enfants.

Je reçois aussi avec gratitude et fierté ce droit fondamental que nous avons réclamé et qu'on nous a reconnu afin de vivre et d'élever nos enfants selon le génie de notre race, nos traditions et nos coutumes.

Signé : Parent fransaskois

Raoul a ainsi pu goûter aux résultats des efforts des parents qui avaient été entrepris par la longue lutte pour l’obtention de la gestion scolaire, et contribuer aux fondements des institutions de ce que constitue aujourd’hui une des grandes contributions à la défense des droits des francophones en matière d’éducation dans la langue de la minorité au Canada. Il en a été un des grands défenseurs, un des grands penseurs et un des grands architectes. Pour toutes ces raisons, nous considérons que Raoul Granger mérite pleinement le privilège de recevoir le prix Père Mercure 2012 pour la défense des droits linguistiques des francophones en Saskatchewan.

Roger Gauthier, le 10 mars 2012

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